IA, Bots & l’Internet Mort

  • 2025-07-03
  • featuring
  • Pierre Ragois
  • EN / FR

Cet article est la suite directe de l'article 008 et fait partie d'une série d'exploration thématique autour de l'IA appelée Mondes synthétiques.
J'espère que cette série vous intéressera et comme toujours, je me tiens à votre disposition pour échanger sur Linkedin ou ailleurs.


Derrière les débats sur l’IA et les contenus synthétiques, une autre tendance se dessine. En 2024, pour la première fois depuis une décennie, le trafic automatisé a dépassé le trafic humain, représentant 51% de l’activité internet mondiale (1). Bots d’indexation, agents conversationnels, scripts malveillants, etc.

Loin des théories d’un internet mort, ce constat révèle une infrastructure partiellement automatisée, où humains et machines coexistent dans des proportions inédites.

Loin des augures conspirationnistes, cartographions ce phénomène. Que sont ces bots, pourquoi prolifèrent-ils, et que nous dit cette évolution sur la transformation de l’internet contemporain ?

En 2024, le trafic automatisé a dépassé les interactions humaines, atteignant 51% du trafic mondial.


L’internet automatisé en chiffres #

Si la composition de ce trafic synthétique semble précisément documentée, elle révèle surtout les stratégies sous-jacentes de l’industrie numérique et, hélas, ses dérives majoritairement opportunistes.

  • 37% de mauvais bots : scraping, fraudes, attaques ciblées — une forte hausse par rapport aux 32% de l'année précédente.
  • 14% de bons bots : moteurs de recherche, indexation, outils de performance.
  • Le trafic humain chute sous la barre des 49%, confirmant le basculement vers un internet automatisé.

Depuis dix ans, la part du trafic non humain ne cesse de croître. Avec l'émergence des IA génératives, certains bots franchissent une étape supplémentaire : ils imitent les comportements humains, automatisent la production de contenus ou contournent les systèmes de détection.


Bots ? #

Le mot bot ne désigne plus seulement les scripts rudimentaires qui parcouraient les pages web dans les années 2000. Aujourd’hui, le spectre s’étend des crawlers inoffensifs aux IA génératives capables de rédiger, publier ou simuler une interaction.

Deux grandes catégories se distinguent : les bots dits utiles, qui indexent, testent ou optimisent. Puis tous les autres.

Les mauvais bots — ceux qui volent des données, saturent les serveurs, contournent les captchas ou simulent des comportements humains — représentent désormais plus d’un tiers du trafic global.

La frontière entre interactions humaines et signaux synthétiques s’efface. Et plus l’IA s'infiltre dans le réseau, plus la distinction devient théorique. Nous entrons dans une ère numérique où il devient presque impossible de savoir qui parle, qui clique, ou qui produit.


Vers un web de synthèse #

Cette bascule n’est pas qu’une question technique. Elle redéfinit la nature même de l’espace numérique.

Quand la moitié des interactions en ligne ne sont plus humaines, le web cesse d’être un simple réseau d’échanges entre individus. Il devient un environnement composite, saturé de signaux automatisés, optimisé par — et pour — des systèmes algorithmiques.

Le phénomène est discret mais systémique. Il affecte l’économie (fraudes, manipulations), les infrastructures (saturation des réseaux) et l’information elle-même : contenus synthétiques, faux profils, interactions automatisées déforment progressivement le paysage numérique, qui ressemble de moins en moins à un reflet fidèle du monde réel.

Ce glissement est déjà amorcé. La question reste de savoir jusqu’où il ira.


De nouveaux paysages #

Difficile de tracer des lignes nettes dans un paysage brouillé par l’automatisation. Les bots, les IA et les systèmes génératifs ne vont pas disparaître. Leur présence devient plus structurelle chaque jour.

Trois constats s’imposent :

  • Le trafic synthétique reconfigure les environnements numériques en profondeur.
  • L’humain perd en lisibilité et en authenticité : contenus, échanges et données se mélangent massivement à des signaux artificiels.
  • Cette hybridation du web n’est pas un complot, mais l’évolution prévisible d’une infrastructure où la complexité ouvre d’innombrables failles exploitables.

Et un nouveau mythe #

Il ne s’agit pas d’enterrer internet ni de céder aux fantasmes. Mais force est de constater que l’espace numérique s’est largement éloigné de son mythe fondateur : un réseau neutre, ouvert, maîtrisé par ses utilisateurs.

À mesure que l’automatisation infiltre chaque recoin, la vraie question n’est plus de savoir si le numérique change, mais dans quelle direction nous voulons encore l’influencer — et avec quel pouvoir démocratique.

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