IA, énergie & données manquantes

  • 2025-06-18
  • featuring
  • Pierre Ragois
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Chaque jour un peu plus, l’intelligence artificielle s’invite dans notre travail, nos outils, nos flux, nos routines. Avec elle et sans surprise, une empreinte écologique de plus en plus difficile à ignorer et un manque de transparence structurelle. Si la majorité des conversations se focalise sur les chiffres par requête ou ses émissions globales, ce que l'on peut retenir pour l'instant est l’impossibilité d’évaluer concrètement ses impacts.

Petits usages, grands systèmes #

Dans un billet, Andy Masley a récemment soutenu que l’usage de ChatGPT « n’est pas mauvais pour l’environnement ». Il rappelle que dix requêtes par jour consomment moins de 0,01 kWh — soit environ 11 kg de CO₂ par an — et que certains modèles plus récents tournent autour de 0,3 Wh par requête.

Ce n’est pas rien, mais ce n’est pas là que se joue l’essentiel.

Comme souvent, les enjeux réels sont les infrastructures invisibles : réseaux électriques, systèmes de refroidissement, entraînement des modèles, fabrication des machines. Des impacts systémiques, rarement visibles, rarement sous la lumière médiatique.

Infrastructures opaques #

Une enquête du MIT Technology Review publiée en mai 2025 illustre bien à quel point nous connaissons mal l’empreinte énergétique de ces systèmes. Les entreprises peuvent publier des chiffres globaux ou des bilans carbone, mais elles communiquent peu sur la fréquence des entraînements, l’origine de l’énergie ou la consommation d’eau pour le refroidissement.

Tout ce que nous savons pointe vers un système en expansion rapide — et presque aveugle. MIT Technology Review, mai 2025

Ce manque de visibilité est confirmé sur les cinq dernières années par plusieurs travaux de recherche. En 2021, Lannelongue et al. ont proposé une méthode (Green Algorithms) pour estimer les émissions en fonction du matériel, de la durée d’exécution et de l’intensité carbone du réseau. En 2022, Dodge et al. ont montré que l’impact environnemental d’une même tâche pouvait varier fortement selon la région géographique et le moment de l’exécution. Et en 2023, Luccioni & Hernandez-Garcia ont proposé la création d’un registre centralisé.

Ces études et d'autres montrent une chose simple : les infrastructures comptent.


Écoconception sans visibilité #

Dans mon travail — de Kuroneko à MicroStudio — l’écoconception ne vise pas la performance, mais l’équité, la durabilité, la cohérence écologique. Construire des systèmes qui respectent les usages, les personnes et les ressources disponibles.

Mais une telle approche suppose de comprendre et à minima estimer l'impact des flux, coûts matériels, chaînes logistiques, etc. Sans visibilité, la conception devient un choix esthétique, non structurel.

Friction avec le présent #

Ce n’est pas nouveau. Chaque grande infrastructure — électricité, chemins de fer, téléphonie — a suscité des inquiétudes. Non parce qu’elle innovait, mais parce qu’elle remplaçait sans prévenir.

L’IA agit à une vitesse qui semble encore plus rapide que le numérique. Elle redéfinit la valeur, le travail, le rythme — tout en masquant sa base matérielle. Des systèmes trop vastes pour être ressentis, mais trop lourds pour être ignorés.


Pour finir #

Qu’on l’aime ou non, l’IA semble déjà inévitable. Elle est devenue en peu de temps une composante ordinaire de nos outils, plateformes et services.

Cela rend d’autant plus nécessaire de comprendre ce sur quoi elle repose — non seulement sur le plan technique, mais aussi matériel. L’énergie, les infrastructures et les ressources qu’elle mobilise façonnent sa durabilité, quelle que soit son interface.

Car le design, ce n’est pas avoir des certitudes. C’est apprendre à ajuster dans le contexte. Il y a une forme d’optimisme dans cette démarche qui me plaît. Pas un optimisme naïf, un optimisme qui se construit collectivement.

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