L’illusion d’une négociation globale

  • 2023-05-16
  • featuring
  • Pierre Ragois
  • EN / FR

Ce que nous vivons en ce moment dans chaque hémisphère de notre belle planète est ce que l’on appelle une tendance globale d’impunité politique aiguë. Dans de nombreux pays, à commencer par la France, les strates dirigeantes testent continuellement les limites du pouvoir constitutionnel et s'aperçoivent que tout est permis puisque rien n’est puni. Mensonges, corruption, conflits d’intérêts, caisses noires, manipulation ou suppression de votes, la liste de crimes en cols blancs s’allonge tout comme la liste des responsabilités toujours déclinées. Cette audace irrespectueuse et brutale envers les peuples et le vivant se partage maintenant partout dans le monde, les uns observant les autres, apprenant chaque jour que plus aucun système légal ou constitutionnel ne tient face aux tactiques modernes de domination de classe.

The pollution paradox #

Dans la lutte séculaire entre l'argent et la démocratie, l'argent l'emporte désormais haut la main. Ceux qui dépensent le plus gagnent, ou comme l’a très bien écrit George Monbiot dans son article “The Pollution Paradox” (1) : “Dirty industries spend more on politics, keeping us in the fossil age”. Traduction: Plus une entreprise commerciale est destructrice et plus elle doit dépenser d'argent en politique pour s'assurer qu'elle ne soit pas réglementée. En conséquence, la politique en vient à être dominée par les entreprises commerciales les plus nuisibles, nous maintenant à l'ère fossile. Ceux qui dépensent le plus gagnent. C’est en gros le concept de la prime au vice. Les dernières décennies d’immobilisme écologique en sont maintenant, s’il le fallait encore, la preuve irréfutable.

Cette situation n’est pourtant pas une nouveauté mais il devient évident que la domination du financier dans la sphère politique se renforce à mesure que le changement climatique se précise dans l’inconscient collectif. L’avenir ! s’est transformé en L’avenir ? D’un point d’exclamation à un point d’interrogation et avec lui le risque grandissant de voir émerger des modèles socio-économiques plus pénalisant pour les grandes richesses et les intérêts du vieux monde. Tout penche alors vers la corruption et la stagnation, à grand coup de novlangue digne de 1984. La crainte du soulèvement populaire traverse de plus en plus les classes bourgeoises, signant la fin non souhaitée d’un régime de privilèges, tout écocidaire soit-il.


Plus une entreprise commerciale est destructrice et plus elle doit dépenser d'argent en politique pour s'assurer qu'elle ne soit pas réglementée.


Communication is power #

Le pouvoir de persuasion des communications modernes incarnées par le numérique est la grande nouveauté de ces trente dernières années lorsque l’on cherche à identifier les véhicules propulsant l’évolution de la politique durant cette période. Il permet de gagner des élections même lorsque les candidats n'offrent rien au peuple. Cette pratique, plus que tout autre facteur, a changé la nature de la politique et tourné en dérision l’idée même de démocratie. Ce n’est alors pas une surprise de voir les milliardaires asservir la grande majorité des médias et faire de leurs intérêts de classe des lignes éditoriales.

La confiance et l'espoir du peuple s'effondrent et ouvrent la voie à une exaltation patriotique et identitaire, soit disant anti-système, hors de la politique-politicienne, ni de droite ni de gauche. Autant de mots toujours synonyme de fascisme.
Le fascisme est, bien sûr, hautement politique et financé par les intérêts mêmes qui causent le désordre politique auquel il prétend remédier, comme nous avons pu le voir dans notre dernier article “Fascisme 2.0 : totalitarisme des temps modernes”. Il se nourrit du désespoir et du sentiment de perdition pour dominer les peuples, traitant la différence par la violence et l’injustice, afin de mieux servir une poignée de monstres. Il est bien sûr tout à fait compatible avec les enjeux du capitalisme, sachant même très bien défendre les intérêts du vieux monde. Pourquoi parle-t-on de fascisme ? Parce que lorsque la fabrique du désir consumériste est cassée, ou fortement endommagée, et que le monde part à la dérive, que reste-t-il pour maintenir l’autorité d’un groupe pillant à son compte les ressources de notre terre ?

Où sommes-nous ? #

Si nous nous recentrons sur notre sujet principal en considérant ce que nous venons de traverser, il semble évident que les négociations mondiales autour du changement climatique et de la protection du vivant sont une mascarade, une triste illusion. Aucun gouvernement n'a l'intention de prendre les mesures nécessaires pour faire face à la crise climatique ou remédier à la sixième extinction de masse, de payer l'argent promis aux nations impactées par nos activités polluantes ou de faire autre chose que ce que les lobbyistes des entreprises exigent. On imagine sans peine voir la fin de l’habitabilité de la Terre et un fascisme planétaire plutôt que de contrarier les intérêts d’une poignée de sponsors très puissants.
Dans de nombreux pays, cette lutte contre le progrès social et écologique a même été soutenue par les partis “de gauche” traditionnels, réagissant avec une complicité désespérante et une animosité virulente face aux poussées libertaires et éco-féministes. Conserver le pouvoir au sein du système existant est et restera la ligne essentielle, le consensus des élites, plutôt que de construire les fondements par exemple d’un municipalisme libertaire social, écologique et féministe. La gauche traditionnelle mène une bataille perdue d'avance, démontrée chez nous à la perfection par les éléphants du parti socialiste au moment de la présidentielle de 2022. Ignorant leurs adversaires politiques représentés par Macron, l’ensemble de la droite conservatrice et l’extrême droite, ils n’ont eu de cesse de s’attaquer à la NUPES, réunissant pourtant à ce moment-là une grande partie des forces vives de la gauche. Leur propre camp.

Il ne faut donc rien attendre de ces rendez-vous annuels internationaux autour du changement climatique, ni même des gouvernements actuels en matière d’écologie sociale et solidaire. Il ne faut rien attendre de ces personnes et de ces institutions. Elles n’ont jamais été au service de la liberté et de l'autonomie des êtres. Nous en sommes encore au stade du marchandage avec la réalité, espérant que la défense du vivant soit faite par un groupe mobilisé par les intérêts d’une infime minorité.


La suite #

Le triste constat de notre situation écologique et sociale n’est fort heureusement pas la fin de cette conversation. C’est en fait son début. Nous pouvons rester positifs : les stratégies d’actions ne manquent pas, et surtout, d’autres mondes sont déjà là. Nous irons à leur rencontre dans le prochain article : Les imaginaires régénérateurs.

A très bientôt !


Have a project?
pierre@kuroneko.io